J’ai des souvenirs de ma naissance, enfin, pas d’images ni
de choses racontées, mais une odeur persistante, une odeur de mort, et un
sentiment de déchirement…
Longtemps, j’ai eu en horreur mes anniversaires, cette piqûre de rappel annuel
qui venait réveiller mon sentiment d’être sans mère.
En fait, j’ai 2 mères. Une maman qui fut là pour mes bobos, pour mon quotidien,
qui a su me donner de l’amour sans jamais arriver à combler mon si grand besoin
d’affection et de câlins. Une mama Kelly, que j’imaginais cruelle car m’ayant
abandonnée, que je voulais retrouver pour lui montrer combien j’étais aimable,
combien j’avais eu une enfance triste, combien elle aurait du me garder auprès
d’elle…
Et puis le temps qui passe, qui vient rajouter de nouvelles casseroles, qui
rend mon giron incapable de mettre au monde un bébé, un ventre qui accueille,
puis qui enlève de si petites vies qui emplissaient déjà mon cœur de mère. Je
me désespère.
Je décide de retrouver ma mère biologique, comme un appel de meute auquel on
est forcé de répondre, comme un espoir. J’ai pensé qu’en retrouvant ma mère je
pourrais en devenir une à mon tour.
La recherche fut rapide malgré les continents qui nous
séparent. La découverte fut un choc terrible. Jamais je n’aurais pu imaginer
cela. Je n’existais pas pour elle ; pas parce qu’elle m’avait rayée de la
carte, mais tout simplement parce qu’on lui a caché mon existence. Sa première
grossesse fut gémellaire, on le lui dissimula, et après la césarienne en anesthésie
générale on lui présenta un seul bébé, tout petit bébé, ma sœur. Moi, je
passerai dans les mains de personnes diverses pour finir adoptée par des
français. Voilà, un trafic d’enfant, tout simplement.
On m’a arraché à ma mère et à ma sœur, j’encaisse assez bien le choc ; sur
l’instant, tout ce que je vois, c’est que ma mère n’a pas voulu se débarrasser
de moi.
Je vais à leur rencontre en septembre 2006. Un voyage long
et intense, un retour extrêmement difficile, je me sens à ma place nulle part,
je fais une petite dépression. Puis mon corps somatise tout cela, mon cycle
change et disparaît, je vomis.
Je suis enceinte, un bébé miracle. Je sais qu’il s’accrochera, sa venue a du
sens, il a fallu que j’aille là-bas, que je me confronte à ma propre histoire
pour que mon ventre se fasse enfin accueillant.
Durant ma grossesse, des angoisses, une fragilité… une amie
me parle d’une doula qui est très proche d’elle. Franchement, je ne vois pas en
quoi cela pourra m’aider. La grossesse avance, je sens que je vais mourir en
accouchant, ou alors ma fille, ou encore qu’on va me l’enlever.
Je déteste être enceinte mais j’ai tellement peur de la perdre que je pourrais
accepter d’être enceinte toute ma vie !
Je saute le pas et contacte donc Claire, une femme
formidable. Elle forme une bulle rassurante autour de moi. Mon mari apprécie
aussi. On se sent accompagnés, et moi j’ose enfin lui dire mes peurs :
avec elle, je ne me sens pas ridicule, je me sens forte.
Je dépasse largement le terme, il est temps que je me mette en travail si je
veux l’accouchement physiologique que je souhaite. Je suis en colère contre
moi, mon corps contracte depuis si longtemps mais mon cerveau bloque tout. Je
ne pensais pas la présence de ma doula utile à la maternité… grosse erreur,
rien ne se passe comme prévu, je bloque complètement. Mon corps contracte
toutes les 3min depuis des heures… rien n’avance, pas plus avec le
déclenchement. Je suis à 2. Je perds les eaux, rien ne change.
Au bout de 40h de travail sans progression je suis épuisée,
j’accepte le « gros » déclenchement celui qui immobilise, celui qui
me fera vivre un enfer…
Je me sens toucher la mort du bout du doigt, la même odeur qu’à ma naissance…
je finis par expulser en 1 seule poussée ma fille. Et je perds connaissance.
Le papa est en peau à peau avec elle le temps qu’on s’occupe de moi ; et
quand je l’ai enfin sur moi, j’ai peur. Je sens tout l’amour que j’ai, et la
peur démesurée qui l’accompagne. Je n’avais pas prévu qu’on resterait ensemble,
dans mon schéma mental on aurait du être séparées !
Ma blessure primitive m’éloigne de la réalité. Je me sens
incapable de m’occuper d’elle, chacun de ses pleurs me revoie à mon
incompétence de mère. Je suis en détresse, c’est horrible d’aimer autant
quelqu’un, et de devoir admettre qu’on n’est pas en état de s’en occuper.
J’appelle à l’aide, des mots sont posés, une dépression du post-partum. Une
équipe ultra compétente me suit, d’autres personnes me viendront en aide, des
mamans formidables qui croient en moi. Et aussi Claire, qui m’apportera encore
son soutien, son aide.
Le temps passe, j’ai une idée fixe. Je regarde les
passants, cherchant des gens compétents pour élever ma fille. C’est le
paradoxe : je suis incapable de la quitter des yeux et pourtant je pense
que n’importe qui d’autre sera plus compétent pour s’occuper d’elle, elle
mérite mieux que moi.
Au CMP, j’aborde le sujet. On me rassure, j’insiste. On me
dit qu’on peut envisager un placement provisoire, si je le souhaite. Je ramène
le dossier à la maison, je le lis, je le remplis… et je brûle le tout. Je
reviens au CMP, en avouant mon acte, on me répond que j’avais besoin d’aller
jusque là, pour me rendre compte qu’il m’appartenait de faire que l’histoire ne
se répète pas. Et que ma fille avait sa propre histoire qui n’était pas un
calque de la mienne.
Tout est rentré dans l’ordre au 9ème mois de ma fille, qui coïncide
avec l’âge que j’avais lors de mon adoption. Depuis, je ne dirais pas que tout
est rose, mais notre chemin ensemble me comble de joie et de bonheur.
Tellement de bonheur que j’ai vite voulu un autre enfant.
Un jour, j’ai refusé d’allaiter ma fille, un je ne sais
quoi qui avait changé… elle avait 18 mois, et le « je ne sais quoi »
était un bébé qui venait de se loger au creux de moi.
Une grossesse qui fut sous le signe des tensions : peur de revivre la DPP, peur de ne pas aimer ce
bébé autant que ma fille, peur de revivre un accouchement monstrueux, peur que
mon couple explose. D’ailleurs, je me sens tellement peu soutenue durant ma grossesse que je me sépare de mon conjoint, je pense même lui
demander de ne pas venir à l’accouchement.
Cette fois-ci, j’arrive à faire ma bulle en fin de
grossesse. Claire est toujours auprès de moi, j’ai choisi une maternité
respectueuse pour mon accouchement, où le médecin m’accueille à bras ouverts.
J’ai choisi une préparation yoga, un moment de plénitude qui me va bien. J’ai
demandé à une sage-femme libérale, conseillère en lactation, de venir en suite
de couches chez moi, car je prévois un retour précoce.
Encore une fois je dépasse le terme. Une séance
d’acupuncture viendra m’aider, et puis cette fois-ci je suis confiante, je me
sens plus forte et si bien entourée. J’ai aussi puisé dans mon Blessingway
toute l’énergie des femmes dont je suis proche, je me sens reliée à mon corps,
reliée aux femmes et à la
Terre.
Le travail se met en route, Claire est là, me lit des
lettres reçues lors de mon Blessingway. Quand nous partons pour la maternité,
j’ai peur que le travail ne s’arrête… en fait, tout roule.
J’arrive là-bas et je suis bien.
Je ne sais pas comment décrire mon accouchement. Féérique,
c’est peut-être cela. Toutes mes vagues sont accompagnées du bol
tibétain ; j’appelle mon bébé pour qu’il vienne, je suis sur le ballon
avec Claire, et au final mon mari est à mes côtés.
Je perds un peu l’esprit dans la phase de désespérance,
voulant rentrer chez moi et qu’on stoppe l’accouchement. Les sages-femmes
appellent Claire à la rescousse. Avec ses mots j’accepte de reprendre le chemin
de l’accouchement.
Une demi-heure plus tard, j’explose la poche des eaux et dans un râle d’une
seule poussée mon fils naît. Je suis debout, penchée en avant, l’équipe le
récupère derrière moi.
Je viens de vivre le plus beau moment de ma vie, la
naissance de mon fils, ma naissance en tant qu’amazone, femme forte capable de
porter le monde. Cette naissance est venue réparer, pas seulement mon précédent
accouchement, mais aussi un peu toute mon histoire personnelle.
La suite fut sans fausse note, un retour chez moi 15h après la naissance, un
allaitement réussi, une facilité à m’occuper de lui et à l’aimer. Quand je
repense à cet accouchement j’ai toujours le sourire, j’ai le sentiment d’avoir
vécu un instant de grâce…
Depuis, je suis une femme sur le chemin de la reconstruction. Je me sens
épanouie dans mon rôle de maman à plein temps, et je travaille dur pour mon
épanouissement personnel.
Je m’entoure de femmes, surtout de mères. J’interviens
également en proposant du soutien à la parentalité, je me forme.
C’est très étrange, je me suis longtemps perçue comme une
gamine… mais depuis la naissance de mon fils je me sens pleinement femme !
Marie